Magicien c’est un vrai métier ?

"Je ne peux pas vraiment faire de la magie, je peux seulement vous aider à la voir."

Peter Samelson, Magicien

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Tu fais quoi dans la vie Florian ?

« Je suis magicien » est la phrase que je répond quand on me demande ce que je fais dans la vie. La première réaction de mes interlocuteurs lorsque je ne suis pas en prestation est souvent la même : au départ ils pensent à une plaisanterie. Passé cette première impression, la seconde est souvent « fais nous un tour ». On me demande de prouver instantanément l’affirmation fantasque que je viens d’avancer. Si vous êtes aussi magicien que ce soit amateur ou professionnel, vous savez de quoi je parle. L’été dernier j’étais en train de de préparer ma bouteille de plongé au Club Med de Martinique entre deux prestations de magie. Quelques minutes après nous plongeons en groupe, et à mon retour à la surface un plongeur avec qui j’avais discuté auparavant me dit « fais moi un tour de magie là », alors que j’avais encore mon détendeur dans la bouche. J’étais dans la mer au milieu de rien, je me suis fais la remarque qu’il avait du ruminer ça durant toute l’excursion. D’ailleurs si je peux me permettre de vous donner un conseil: n’allez pas dans les Caraïbes quand c’est l’été en France, surtout si c’est pour faire de la magie, l’humidité est un vrai cauchemar. N’espérez pas pouvoir y faire de tours de cartes… Nous sommes un des seuls métiers à hériter de cette défiance, je doute qu’un proctologue se voit demander de prouver ses compétences lors d’un cocktail mondain …

Ceci est généralement suivi par l’incrédulité, souvent une phrase du style « Non mais ton vrai métier c’est quoi ? ». Les gens semblent incapables de comprendre que je vis d’une chose qui est à la base est pour eux une fantaisie. Ils ont tendance à le considérer comme insignifiant, fragile, au mieux un divertissement. La réalité est que l’on travaille dur pour que nos prestations soient le plus qualitatives possible, et que les plupart des magiciens sont commerciaux d’un produit qui est leur propre personne. L’asymétrie est forte entre ce que fait un magicien et ce que le public voit réellement. Le magicien exécute une série d’actions, synchronisés avec son boniment, et ce que le public voit est … magique. Mais ce que le public voit est biaisé, ce n’est pas vraiment la réalité. On pourrait faire le parallèle avec un acteur sur scène. Jean Dujardin n’est pas réellement George Valentin, star du cinéma muet dans The Artist. Nous le savons en regardant depuis nos sièges, peu importe à quel point nous sommes transportés par sa technique, sa capacité et son talent. Une fois, lors d’une prestation dans un château à Bordeaux, un homme de mon âge m’avait pris à parti en me disant que j’étais un charlatan car je n’avais pas de réels pouvoirs. Je lui avais répondu qu’effectivement j’étais un acteur qui jouait le rôle d’un magicien. Et que lorsque un acteur mourrait dans un film, je doutais fort que cette personne se lève pour s’exclamer tout haut « l’acteur fait semblant d’être mort ! ». Ceci l’avait convaincu de se rassoir. Enveloppé dans la performance de la magie, un public essaie de comprendre, essaie de ne pas croire, et pourtant la magie se produit. Certains on nommé cela une suspension involontaire de l’incrédulité. Par ce que je suis un magicien, ce que vous me voyez faire est très différent de ce que je fais réellement. Vous voyez votre bague flotter dans les air, alors que je vois une constellation de méthodes et de principes complexes entrelacés pour créer cette illusion. Qu’est-ce qui relie le magicien au public ? Très peu, en surface.

La quête du sens

Ayant été ingénieur, j’ai une approche on ne peux plus cartésienne de la magie. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ce que je fais dans la vie est faux. Toutefois, ce que je veux artistiquement, c’est donner au public quelque chose de réel, pas quelque chose qui ne semble réel que pour un instant. S’en résoudre à tromper uniquement les gens est finalement insatisfaisant. Il doit y avoir quelque chose de plus que l’amusement et la distraction dans la magie. Je ne suis pas le seul à aspirer à quelque chose de plus profond qu’une illusion. Bien que je sache que cela ne peut pas être fait, je veux le faire de toutes façons.

Si tout ce que j’ai à donner n’est pas réel, alors à quoi servent les magiciens ? J’ai longtemps été en quête de sens quand à ma place de magicien dans ce monde. Avec les années j’ai pris conscience de mon rôle en discutant avec les gens après mes prestations. En mai dernier, j’étais en prestation dans un restaurant près de Bordeaux, à la fin du close-up une dame d’un certain âge vient me voir. « Avez-vous apprécié le moment que l’on a passé ensemble ? » lui dis-je. « Vous savez, depuis quelques semaines mon mari est en phase terminale. Que je sois avec lui ou n’importe où ailleurs, mon esprit est toujours à l’hôpital. Que je le veuille ou non, je suis devenue un patiente à temps plein moi aussi. Lorsque vous êtes venu me faire de la magie, j’ai oublié cette réalité pendant 15 minutes et pour cela je voulais vous remercier ». Puis elle m’a prise dans ses bras. Je n’oublierais jamais cette dame, cette gratification valait 1000 mercis. Par les émotions qu’elle procure, la magie est un art qui fait se sentir vivant. Une expérience forte et profonde qui lui a permis de sortir d’elle même.

L'obsession

La magie me fait également me sentir vivant. Elle fait tellement partie de moi que c’est instinctif, peut importe où je suis. Récemment j’étais à l’hôtel Renaissance à Bordeaux. J’étais allé voir un rodage du spectacle de Romane Frayssinet avec des amis. Après son show, je discute un peu avec lui. Puis de fil en aiguille, mon côté très sociable m’emmène à discuter avec d’autres personnes. Je me retrouve finalement à faire de la magie dans une autre partie du rooftop où une société dans le bâtiment organisait une soirée de séminaire. Tard dans la soirée, ma copine s’est rendu compte que j’étais parti depuis plus d’une heure et a fouillé l’étage. Pour finalement me trouver, au milieu d’inconnus, à faire de la magie. Je ne peux pas m’éloigner d’un jeu de cartes, jamais. Elle m’a demandé pourquoi n’avais-je pas pu mettre la magie de côté ne serait-ce qu’une seule soirée ? Je ne lui ai rien dit sur le coup mais la réponse est pourtant simple. C’est plus fort que moi, je ne peux pas ne pas faire de magie. Je ne m’arrête pas parce que je ne peux pas m’arrêter. En tant que magicien, mon but est de montrer aux gens quelque chose sur eux-mêmes. La photojournaliste Dorothea Lange a écrit : « L’appareil photo est un instrument qui apprend aux gens à voir sans appareil photo ». Le magicien est l’instrument qui montre aux gens comment vivre le mystère sans magicien.